Pourquoi remettre en question le modèle traditionnel de gestion et permettre aux personnes de choisir de prévenir librement ? Simplement parce que l’humain agit plus souvent sous l’influence des émotions que du rationnel. Pouvoir choisir, c’est faire le choix de réduire les événements engendrant des pertes humaines et économiques dans les organisations, et par conséquent, adhérer à la valeur.

Prendre de bonnes décisions

Plusieurs expériences ont été menées tant dans le monde politique, que celui des organisations publiques et privées à la suite de la parution du livre Nudge : improving decisions about health, wealth, and happiness (1). Nudge, ou coup de pouce en français, est une façon d’inciter en douceur les gens à apporter un changement dans leur comportement, ce que les auteurs définissent comme étant « l’organisation des choix sans les forcer ». En plus de s’avérer des solutions économiques, elles sont souvent extrêmement rentables. Qui n’a pas entendu parler de l’initiative de l’aéroport de Schiphol d’Amsterdam qui consiste à imprimer une mouche au fond des urinoirs pour inciter les hommes à viser et ainsi, réduire les coûts d’entretien ménager. Cette mouche est un nudge qui a permis d’économiser sur les coûts à hauteur de 80%!
Cette théorie, comme bien d’autres développées et mises en application à ce jour, s’inscrit dans le courant des travaux du prix Nobel de 2002 Daniel Khaneman, sur l’économie comportementale [2]. Ces courants font la démonstration que la personne possède des réflexes dirigés par l’émotion beaucoup plus forts que le fait de prendre des décisions appuyées sur le rationnel et cela, que l’émotion soit positive ou négative. Et l’application en ce sens à l’égard de la SSE (santé, sécurité et environnement) est celle d’inciter les personnes à adopter des comportements favorables à la prévention en leur permettant de décider de prévenir. Pour que cette décision tant au niveau des hautes instances, de l’opérationnel que des travailleurs soit inspirée par les bons choix, il faut que l’organisation des choix en regard à la proposition soit préventive. Il sera donc judicieux de favoriser l’émotion positive plutôt que négative dans la démarche et l’inscrire vers le but recherché; la prévention des lésions et la performance économique.

Moins de contraintes, plus de choix

Le fait de solliciter la personne sur des aspects rationnels en regard à ce qu’elle peut perdre ou doit changer pour répondre aux attentes intervient peu sur le fait de les mémoriser ou non [3]. La personne n’est pas aussi rationnelle qu’on l’imagine. À contrario, les émotions favorisent la mémorisation en sollicitant continuellement ce que la personne doit garder et ce qu’elle doit éliminer. Les choix étant donc plus souvent inspirés par des composants affectifs que rationnels, les émotions seront donc à la source de la motivation et de la mobilisation qui elles-mêmes, sont à la source de l’attachement et de l’adhésion tels qu’illustré.

Si la pratique SSE permet aux personnes de choisir, donc de décider, l’adhésion des personnes à la prévention en sera bonifiée à tous les niveaux de l’organisation. À titre d’exemples, un comité de direction qui a la charge de faire les choix en matière de SSE aura beaucoup plus d’impact sur la culture de prévention qu’un comité de direction à qui les solutions sont soumises par le département SSE pour décisions. Même chose pour des superviseurs veillant à développer les façons de faire plutôt que de se les faire imposer. Que dire du chef d’équipe et ses collègues devant statuer sur une méthode parmi un certain choix plutôt que de se faire instruire sur LA méthode.

Il est certain qu’une telle approche de gestion nécessite de transformer les façons de faire, et qui plus est, celles de l’intervenant SSE lui-même qui devra se positionner dorénavant comme influenceur. Les notions d’expertise et de spécialité devront par conséquent prendre de moins en moins d’espace et laisser la place à la décentralisation et l’interdépendance. L’idée maîtresse devant toujours être celle de faciliter le meilleur choix et d’en limiter l’imposition, donc la contrainte.

Charger la banque émotionnelle

Comment faciliter le meilleur choix par la personne et l’encourager à prendre la meilleure décision en matière de résultats préventifs? En chargeant la banque émotionnelle de la personne. Ce principe vise à faire la promotion de la prévention par la sollicitation d’émotions positives chez la personne. Il s’applique à ne pas laisser une personne face à un choix ou à une décision, dans une situation négative par rapport à la prévention, telles que la contrainte et la coercition. Les étapes essentielles à mettre en œuvre pour organiser le choix et la décision sont :

1. Démontrer de l’intérêt en regard au rôle de la personne devant faire un choix (toute position hiérarchique)
2. Reconnaître ses réalisations (toute envergure et tout horizon)
3. Présenter les attentes SSE de façon simplifiée
4. Écouter la personne et mettre en valeur les éléments constructifs soulevés qui dirigent vers des pistes de solutions
5. Encourager l’articulation des propositions de façon à ce que la solution soit adaptée aux attentes (gestion de risque)
6. Obtenir l’engagement

Concrètement, voyons ensemble deux exemples pour illustrer l’organisation des choix SSE. Le premier concerne une décision qui doit être prise en regard à une nouvelle directive SSE, relativement à l’achat et à l’utilisation d’un nouveau type de véhicule sur les chantiers dans une entreprise. Au comité de direction, les différents membres font état de leurs réalités face à cet enjeu. Les acquisitions, la gestion de projet et la SSE s’avèrent les principales concernées par ce changement et sont invitées par le président à discuter des implications qui les concernent. Le président rappelle et fait état des différents défis ayant déjà été relevés par chacune des directions concernées, qu’elles soient ou non reliées à la SSE, puis présente les attentes à l’égard de ladite directive sans en suggérer de solutions. Tous les membres sont alors encouragés à émettre une à deux solutions en vrac. Les membres directement concernés sont par la suite invités à proposer leur solution adaptée aux attentes, et ce, à une date ultérieure. Cette proposition sera le fruit d’une réflexion en groupe de travail avec les personnes de leur choix. À la suite de la présentation de la ou des solutions par les personnes concernées, une décision est prise en comité sur la ou les meilleures solutions émises. Selon cette approche, le comité de direction s’octroiera beaucoup plus d’impact au moment de diffuser la directive et de l’administrer, dans la mesure où la solution émane de la direction elle-même. D’autant qu’elle considère un ensemble d’enjeux déterminants, dont la SSE. Un département SSE alors impliqué dans une telle dynamique aura joué son rôle d’influenceur, en ce sens qu’il aura veillé à ne rien prescrire, tout en assurant le respect des attentes au moment du choix par les membres.

Comme second exemple, prenons le cas d’un employé de bureau dont la position de travail adoptée ne correspond pas aux standards d’ergonomie. Un superviseur initie une discussion avec cette personne tout en la questionnant sur les outils avec lesquels elle doit composer dans l’exécution de son travail; ordinateur, téléphone intelligent, double écran, etc. Il prend alors le temps d’identifier ce qui est remarquable dans son aménagement ou ailleurs, puis lui parle de sa préoccupation à l’égard de sa position de travail et des standards d’ergonomie. L’employé de bureau est alors invité à discuter de ce qu’il peut améliorer pour harmoniser les conditions. Le superviseur l’encourage alors à mettre en pratique les solutions émises et obtient son engagement à cet égard.
Pour aucun de ces deux exemples, il n’a été question d’imposer une façon de faire, mais plutôt de suggérer le meilleur choix en ce sens. Il s’agit de susciter l’adhésion des personnes à la cause de la prévention par la stimulation d’émotions positives engendrées, notamment, par l’écoute et la reconnaissance.

Les limites

La pratique de gestion traditionnelle de la prévention limite de façon considérable la portée des résultats possibles de l’approche comportementale. En près de 25 années de pratique et des centaines d’établissements desservis, une poignée d’organisations ont adhéré de façon structurée à l’approche comportementale. Bien qu’elles soient de plus en plus nombreuses à la mettre en pratique, la gestion SSE par la contrainte demeure la pratique la plus courante ou dominante au sein des organisations de toute dimension, et elle est fortement ancrée.

Les raisons de ce statuquo sont multiples, dont la croyance voulant que les personnes soient profondément rationnelles et plus encore, à haut niveau décisionnel. Le mythe des postulats classiques de l’économie ont encore la cote malgré les conclusions de M. Kahneman qui démontrent pourtant, que les incitatifs traditionnels, tels que pécuniaires n’orientent pas vraiment les comportements des personnes.

Conclusion

Comme dans bien des domaines, une pratique dogmatique en ce sens n’est toutefois pas recommandée. Cependant, un mélange judicieux dans l’approche de gestion est souhaitable, et ce, avec une légère prédominance dans l’approche comportementale afin de mieux correspondre au moteur de nos organisations, les personnes. Cette application de principe est simple, peu coûteuse et très rentable. Et une fois implantée, elle a l’effet de se propager sur les autres fonctions de l’organisation en y transférant les bénéfices.

Texte écrit à l’origine pour la revue Travail et santé, décembre 2016, vol.32 No 4

Références :
1. Thaler R.H., Sustein C.R. Nudge : improving decisions about health, wealth, and happiness, Penguin Books, 2008.
2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Kahneman, consulté le 9 juillet 2016
3. http://www.adhoc-recherche.com/fr/blogue/les-emotions-au-coeur-de-lefficacite-publicitaire/, consulté le 9 juillet 2016